Ce que disent les pierres
« En octobre 2020, la tempête Alex s’est abattue dans les Alpes-Maritimes. Des intempéries phénoménales ont donné lieu à des inondations et des coulées de laves torrentielles dans les vallées de la Vésubie et de la Roya, causant dix morts et huit disparus. À la suite du drame, une centaine de communes ont été placées en état de catastrophe naturelle.
Dans le cadre du programme Mondes nouveaux du ministère de la Culture, nous avons invité le sculpteur Julien Berthier, la chorégraphe Julie Desprairies, le musicien Charles Dubois, l’architecte Laure Dezeuze et la sociologue Livia Velpry à venir poser et croiser leurs regards sur cet événement et ses stigmates.
Après deux temps de résidence à Saint-Martin-Vésubie au printemps 2022, nous y avons créé et produit un événement de trois jours à la fin du mois de juin. Pour ce faire, nous nous sommes inspirés du conte populaire traditionnel « La soupe aux cailloux », construit autour de la figure d’un étranger (selon les époques et les contrées, l’étranger est représenté par un humain, un loup, un cactus…) qui arrive dans une communauté et demande l’aumône. Les portes se ferment, sa requête est rejetée. Il propose alors à la population locale de partager avec lui une « soupe aux cailloux » qu’il entreprend de préparer dans la marmite qu’il transporte. Cette soupe immangeable (de l’eau et des cailloux) intrigue les autochtones qui viennent en respirer le fumet (au début insipide) et y mettre leur patte pour qu’elle se charge de goût – qui ajoutant un légume, qui un morceau de lard, qui une épice… Pour finir, la soupe est délicieuse et tous la dégustent ensemble dans un moment d’échange joyeux et festif. Le lendemain, l’étranger repart.
La soupe aux cailloux de Saint-Martin-Vésubie a été l’occasion de rencontrer les habitants du village et des alentours, et de travailler avec les enfants de l’école, avant de s’installer sur la place du village et de partager une soupe cuisinée dans les marmites locales à partir de légumes des producteurs régionaux.
Une vaisselle spécifique, associations d’éléments basiques (bols, cuillères, etc) et de pierres prélevées in situ, en a permis la dégustation. Sur la place, des installations sonores et visuelles ont été activées (lithophone, atelier de paréidolie, recueil de témoignages, pierre enregistreuse…). Dans la « langue de pierre », le paysage où persistent les stigmates de la tempête, une promenade chorégraphiée participative a été proposée tous les jours.
Cette “soupe aux cailloux” a servi de terreau à une fiction écrite par notre collectif, donnée à lire ici en dialogue avec des éléments qui documentent l’événement.
Lorsque nous étions sur place, près de deux ans après le passage d’Alex, les stigmates de la catastrophe restaient massifs, mais la reconstruction des infrastructures et la reconstitution des berges avait avancé de façon impressionnante. Des discussions animées avaient cours à propos des stratégies de réaménagement à mettre en œuvre pour éviter que l’histoire ne se répète. En octobre 2023, un nouvel épisode tempétueux a frappé la vallée. La tempête Aline, même si elle a provoqué des dégâts moindres qu’Alex, a terriblement mis à mal les chantiers en cours. »
Extrait de la postface signée Colombe Boncenne et David Enon