Eva Nielsen
« J’ai toujours été fascinée par l’énergie des femmes peintres qui prennent d’assaut la peinture, physiquement, comme Helen Frankenthaler ou Joan Mitchell. Leur corps tout entier est engagé dans la peinture, dans la fabrication et dans la réception de leur œuvre chez le regardeur. Le motif du paysage, de la peinture d’histoire, des panoramas, était souvent associé dans l’histoire de l’art à un registre masculin. J’aime beaucoup l’idée de contrer cette image d’une possession virile de la peinture, cette vision du “grand peintre dans son atelier”. Des peintres comme Emily Carr, Georgia O’Keeffe ou Hilma af Klint ont, à mon sens, une vision forte de ce que peut susciter un paysage, à la fois physiquement et ontologiquement. J’aime le fait qu’elles ajoutent une nouvelle dimension au sublime et au grandiose, un regard plus distancé et presque facétieux. » (Eva Nielsen, extrait de l’entretien avec Joël Riff)
« L’œuvre d’Eva Nielsen est constamment à la lisière de quelque chose : au seuil du territoire, de son centre et de sa périphérie, de l’image imprimée et de la peinture, de l’abstraction et de la figuration. D’un horizon à l’autre, du format au sujet, le paysage prédomine dans ses peintures et ses dessins. Inspiré à la fois par les architectures et par leurs vestiges tant modernistes qu’utopistes, son regard se pose sur ce qui semble être “hors de vue” car les lieux qu’elle retranscrit n’apparaissent qu’entre les interstices d’une nature abandonnée et des sites industriels. Telle une topographe, une observatrice ou une nomade, l’artiste expérimente ces territoires en mutation. Cette cartographie s’est façonnée au fil du temps entre ses origines danoises et son ancrage en périphérie parisienne. Si bien qu’étrangement une atmosphère silencieuse propre au romantisme nordique semble advenir, entre sublime, “tragédie du paysage” et contemplation à travers des lumières bleutées ou rendues verdâtres par le déchaînement de forces naturelles.
Sa peinture puise dans la puissance et la vigueur de ces paysages afin d’articuler subtilement un rapport organique, voire alchimique, entre art et nature. Au travers de ces multiples visions du paysage, elle rassemble, reconfigure et récolte des fragments du réel, mais quelque chose s’y interpose toujours tel un écran ou un filtre. Avec la sérigraphie, Eva Nielsen “décalque le monde” et “abîme” la peinture en la sublimant. À l’image de l’altération des lieux qu’elle a parcourus ou infiltrés, ces espaces en reconstruction, réels ou factices, brouillent et perturbent nos repères. » (extrait du texte « Odyssées suburbaines ou la peinture sédimentée » de Marianne Derrien)
« Lorsque j’étudiais aux Beaux-Arts de Paris, la découverte de la sérigraphie a été une révélation — mot qui prend pleinement son sens puisqu’il s’agit aussi de l’une de ses propriétés plastiques. Je me sentais attirée par la photographie tout en développant une pratique de peintre. La sérigraphie possède des possibles infinis : une multitude de paramètres peuvent être changés et le résultat se modifie sans cesse en fonction du geste. C’est à la fois une empreinte, un pochoir, une extraction photographique. Ma rencontre avec cet outil est aussi liée à un sentiment ressenti un jour en marchant : la rue, les immeubles, le ciel m’ont paru particulièrement plats, comme découpés. J’avais la sensation d’une planéité vertigineuse. Soudainement, la sérigraphie me permettait d’aller vers ce sentiment, car je pouvais détourer des éléments architecturaux, aplatir leur volume dans le paysage et les confronter à la ligne de fuite. » (Eva Nielsen, extrait de l’entretien avec Joël Riff)