Les Ommes
Il s’agit d’un sujet précis, concret, indubitablement : une collection de gommes. C’est même une collection de gommes à encre – c’est-à-dire que chaque spécimen est constitué, au moins partiellement, d’une substance abrasive capable d’effacer des inscriptions indélébiles, dactylographiques ou écrites à la plume, au stylo bille, au marqueur, ou encore imprimées… A priori, tout est en ordre, la logique de l’archivage (l’inventaire, le classement) est rigoureusement respectée : l’ensemble est bien complet, organisé.
Mais tout n’est pas si net qu’il y paraît. La relation que l’auteur semble entretenir avec l’objet est singulière : obsessionnelle et fétichiste (mais toute collection ne traduit-elle pas une obsession quasi cultuelle ?), compulsive, et l’usure énigmatique de bon nombre de gommes utilisées trahit en l’occurrence un usage peu commun – sériel, excessif, inhabituel – de ces petits instruments collectés.
Ustensiles d’ailleurs étrangement mis en scène, comme autant de pièces à conviction, minutieusement posés sur les pages d’un exemplaire de l’édition originale de 1953 du roman policier Les Gommes d’Alain Robbe-Grillet. Existe-t-il un lien entre l’auteur-collectionneur Jérémie Bennequin et le mystérieux détective qui erre dans ce livre à la recherche d’une gomme bien particulière ? Les indices d’un gommage en série, probablement méthodique, ne manquent pas, mais qu’est-ce qui a bien pu disparaître ? Quelles empreintes, quelles marques, quels corps ont été supprimés ? Et quid du mobile de l’effacement ?
Ce livre d’artiste nous plonge en eaux troubles, dans l’indétermination des rapports ambigus, des analogies et des substitutions entre le réel et la fiction, les mots et les choses – les gommes et les hommes.